lundi 26 septembre 2016

Le facteur humain dans l'usine du futur (8)

Résumé des épisodes précédents. Depuis janvier 2016, j'ai chroniqué la vie d'une communauté d'industriels réfléchissant sur le facteur humain dans l'usine du futur.

26 septembre 2016. Direction Guebwiller où N.Schlumberger (groupe NSC) accueille la nouvelle session du groupe de travail "Le facteur humain dans l’usine du futur".

Mathieu Rollet, Directeur industriel du site, présente son entreprise qui conçoit et fabrique des équipements industriels pour le textile, ainsi que le groupe NSC, actif également dans l’emballage, l’industrie et l’environnement. Le groupe NSC est un acteur mondial, constructeur de machines pour le travail des fibres longues naturelles et artificielles et la production de produits d’emballage.

A Guebwiller, N.Schlumberger emploie 200 salariés qui conçoivent, fabriquent et vendent des machines pour les industries textiles, pour l’environnement et la production d’énergie. "Il y a 20 ans, nous avons connus une crise mondiale de notre cœur de métier qui a duré 10 ans. Nous étions une entreprise donnée pour morte. Nous étions près de 1000, il y a encore 20 ans. Pendant 10 ans, nous avons réduit nos effectifs et nos coûts sans avoir les moyens d’innover. Il y a 10 ans, nous nous sommes réorganisés pour relever de nouveaux défis. Nous nous sommes notamment appuyés sur la culture spécifique de NSC, une entreprise restée familiale."

Benoît Basier, Président de Corderie Meyer Sanboeuf, est également le nouveau président du Pôle Textile Alsace. "Le poids culturel est très important dans ces entreprises familiales. Plus que la culture allemande, il y a une forte influence de la culture protestante luthérienne. C’est une caractéristique de nombreuses entreprises du Sud Alsace et du capitalisme rhénan. Cela se traduit par une responsabilisation différente des décideurs d’entreprise, particulièrement orientée par la nécessité d’apprendre et de devenir performant par soi-même."

Mathieu explique comment N.Schlumberger a réagi. "Même si les deux tiers de nos besoins sont couverts par des fournisseurs extérieurs, nous sommes restés une entreprise intégrée. Stratégiquement, nous avons voulu maintenir notre savoir-faire en interne, et nous avons réorganisé nos ateliers pour plus de réactivité et d’agilité. Nous avons aussi reconstitué un pôle d'apprentissage qui nous permet justement de renforcer le savoir-être et le savoir-faire de nos salariés."

Les actions menées chez N.Schlumberger pour tendre vers l’usine du futur
  • Le sens : les valeurs de Schlumberger
  • L’agilité : lean manufacturing + modernisation de nouvelles machines + plans de réduction de coût
  • Open Innovation : travail avec une startup experte du big data, CPC Analytics
  • Brique technologique : travail sur de nouveaux produits, de nouvelles matières
  • Digital : big data + digitalisation des postes de travail
  • Client au centre : des collaborateurs vont former des monteurs chez les clients
  • Compétence : triple certification QSE (Qualité-Santé-Environnement)
  • Motivation : Améliorer l’ambiance de travail
  • Engagement : volonté de développer la susbsidiarité, de favoriser la prise de décision à l’endroit où elles doivent être prises ; au plus bas niveau, les collaborateurs peuvent prendre des décisions pour ce qui les concernent

Mathieu Rollet prend l’exemple d’une expérimentation menée par N.Schlumberger à Guebwiller. "Les salariés avaient débrayé pour demander une prime de 700€. Du coup, le Directeur Général a demandé aux salariés de lister leurs problèmes. Côté direction, on les a mixés avec nos projets et réflexions en cours. Le tout nous a permis de lancer le projet « S’améliorer ensemble » que l’on souhaitait développer avec l’ensemble des salariés en initiant des actions d’amélioration pour la vie de l’entreprise : pour nos salariés ; pour nos clients ; pour nos fournisseurs ; pour nos résultats. » En fin de compte, on a identifié 30 groupes de travail. Les négociations entre la direction et les partenaires sociaux nous ont permis de tomber d’accord pour une prime de 700 € par salarié, qui serait versée en deux temps : 200 € avec le salaire de septembre 2016 après définition du livrable de chaque groupe, en accord avec le sponsor, membre du Comité de Direction ; 500 € avec le salaire de décembre si les objectifs retenus sont atteints à fin novembre et validés par le Comité de Direction. Du coup, chaque prime versée correspondra à une amélioration réelle de notre entreprise."


30 actions d’améliorations et 200 salariés pour mener à bien ces actions


"C’est la Direction qui a réparti les salariés dans les groupes de travail, précise Mathieu. On a voulu en effet que chaque salarié participe à ces groupes de travail. Au-delà des coûts, c’est aussi l’occasion de développer la transversalité entre tous les salariés. Avec cette méthode, on leur apprend aussi à cadrer leur projet et à prioriser les réflexions. Si on n’est pas un peu dirigiste, on risque de passer à côté de projets ou de laisser des salariés développer des projets dans leur coin sans en faire bénéficier les autres. Quand on a présenté le projet à tous les pilotes, on a conclu en leur projetant ce film qui, en une minute, explique ce qu’est l’entreprise libérée."



Une entreprise libérée, c'est quoi ?


Ce film d’animation propose une première approche, en seulement 1 minute, du concept de l’entreprise libérée, développé par Isaac Getz et Brian Carney dans leur livre : "Liberté & Cie : Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises" (Fayard, 2012 / Champs-Flammarion).



Le facteur humain dans l’usine du futur, suite


L’après-midi commence par un retour sur la visite de l’usine N.Schlumberger. Chargé de mission à EDF, Bernard Bloch résume l’impression générale. "Avant la robotisation, on voit bien que l’organisation très mécanique permet aussi de réorganiser les équipes et postes de production pour favoriser le projet de modernisation. On voit aussi que la genèse de ces réflexions vient souvent d’un électrochoc, une crise économique ou un défi à relever face à l’internalisation. L’élément déclencheur est souvent un nouveau directeur, souvent venu d’un groupe international, ou d’un directeur en place ayant un projet socialement innovant."

Après ce débriefing, Mireille Hahnschutz, Conseillère Industrie à la CCI Alsace, initiatrice de ce groupe de travail, propose une Fiche d’action par atelier de travail, un outil qui permettra de favoriser la cohérence de l’avancement des différents travaux menés en parallèle par les membres du groupe de travail. Du coup, tour d’horizon des sous-groupes de travail.


Atelier La libération de nos entreprises


Plusieurs expérimentations sont en projet ou en cours de développement.

Expérimentation chez Liebherr (Colmar)

"Nous investissons dans un nouvel outil de production et c’est l’opportunité d’expérimenter l’évolution vers une organisation plus agile, expliquent Franck Keiffer et Stéphan Kohler, respectivement Responsable RH et chef de projet de l’usine de Colmar. Nous avons commencé à sensibiliser les équipes concernées pour qu’ils s’approprient le sujet, en insistant sur l’implication des contremaîtres qui sont moteurs de cette transformation. Cela suppose l’engagement de tous les salariés concernés. Il y a même une certaine impatience de nos contremaîtres qui sont en attente pour échanger avec nous sur le facteur humain dans l’usine du futur. Il nous reste à le vendre à notre sponsor interne, le Directeur général de production."

Expérimentation chez Wolfberger (Colmar)

Mathieu Greff : "On travaille sur le sujet depuis avril. On a décidé de creuser le sujet en organisant des visites et des échanges chez SEW, Mondelez et Hager pour voir leurs réussites et les écueils rencontrés pour que très rapidement, en décembre, nous puissions développer une approche associant RSE et lean management, mais un lean raisonné sur l’essentiel de notre activité. Notre projet sera certainement plus ambitieux que ce que nous imaginions au départ. Et on se fera accompagné par un organisme extérieur."

Les dirigeants de Wolfberger ont emmené avec eux, Franck Keiffer (Liebherr) et Bernard Bloch (EDF) qui, avec Mathieu, ont profité de ces visites pour enrichir les réflexions de leur atelier de travail consacré à la méthodologie à employer pour amener les entreprises à entrer dans une démarche d’usine du futur (voir plus loin).

Un débat s’ensuit entre les participants autour des appellations qui sont trop restrictives et qui génèrent davantage de peur que de rêves.

Usine ou industrie du futur ? On parle d’usine du futur et d’industrie du futur ? En fait, Mireille Hahnschuz, qui a initié ce groupe de travail au sein de la CCI, explique que l’usine du futur désigne le site, quand l’industrie du futur désigne l’entreprise. Bernard Bloch souligne que l’expression pose également problème, car il s’agit aussi d’entraîner les PMI-PME dans ces approches. De même que les artisans et les entreprises de l’économie sociale et solidaire.

L’entreprise libérée est une autre expression qui fait peur. Du côté de l’association Idée Alsace, les membres parlent plutôt d’entreprise humaniste et collaborative, voire d’entreprise apprenante, qui sont des étapes nécessaires pour arriver à l’entreprise libérée.


Atelier Process de Communication : communication et condition de la réussite


Atelier Sensibilisation : entrer dans la démarche


Comme évoqué précédemment, Mathieu, Franck et Bernard ont multiplié les visites d’entreprises pour comprendre la genèse de leur démarche. Plusieurs constats reviennent très souvent :
  • Les acteurs décideurs concernés sont souvent 3 personnes : Directeur industriel, responsable Qualité, responsable marketing.
  • Le nom du projet tourne souvent autour d’un système qualité transverse, revu et corrigé.
  • Une démarche en trois temps : Lean > Industrie du futur > RSE
  • Passe par un repositionnement vers les services
  • Échelon intermédiaire = coach
  • Les visites sont guidées par les collaborateurs qui en parlent le mieux, métier par métier, ce qui leur procure un vrai sentiment de reconnaissance et une vraie fierté de témoigner
  • Des indicateurs très visuels à tous les étages

Comme l’explique Bernard, qui pilote cet atelier, l’histoire de l’usine du futur peut se résumer en 7 étapes :
  1. Crise ou impulsion d’un nouveau dirigeant
  2. Réaction industrielle (lean, 5S, …)
  3. Prise de conscience et amorçage d’un projet Facteur humain
  4. Réaction : la Direction veut redonner du sens et s’appuyer sur les forces humaines de l’entreprise pour instaurer une nouvelle dynamique > Partage de cette envie pour repartir dans le même sens
  5. Approche transversale et communication
  6. Autonomie cadrée pour responsabiliser
  7. Processus décisionnel revu et corrigé pour plus d’agilité.

Un point d’alerte : l’échelon managérial intermédiaire a souvent des difficultés à se retrouver dans la démarche.


Atelier Préparation Big Event Mars 2017


"Il s’agira de faire vivre au public une partie de l’expérience que nous avons vécue pour comprendre et entrer dans la démarche,
explique Bernard Bloch. Pour cela, notre big event sera organisé sur une semaine entière, du 13 au 17 mars 2017, qui permettra aux acteurs socio-économiques, mais aussi à un public plus large, de venir vivre des ateliers de sensibilisation, des visites d’usines, de participer à des échanges… Nous prévoyons également d’autres événements surprise dans le cadre de Bizz&Buzz la semaine précédente, et la suivante dans le cadre de la Semaine de l’industrie."
Pour la prochaine réunion, tout le groupe de travail est invité à réfléchir à la forme de cet événement.


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